C. Le JT, un outil de divertissement ou d'information ?
La mise en scène du JT comparable à un spectacle
Le JT que nous connaissons aujourd’hui se présente comme un spectacle. Du traitement de l’information jusqu'à l'esthétique du plateau télévisé, tout est mis en scène pour capter le regard du téléspectateur et le dissuader de changer de chaîne.
Le JT fait preuve de théâtralité. Un court générique laisse ensuite place à un ou des présentateurs à l'apparence soignée. Ces derniers ouvrent alors le JT par la phrase culte: "Madame, Monsieur bonsoir". Par ailleurs, rien n'est laissé au hasard entre l'éclairage, l'organisation du plateau, les différents plans de la caméra, le maquillage et la tenue des présentateurs. En effet, les décors sont généralement modernes et spacieux, les présentateurs se montrent souriants et accueillants, les angles de vue de la caméra apportent du dynamisme à l'image. Tous les moyens sont ainsi déployés pour donner au téléspectateur une image flatteuse du JT dès le premier coup d'oeil. L'esthétique est donc un élément essentiel dans le succès d'un JT. Elle permet de captiver l'audience en mettant en valeur le contenu du JT.
Cependant, la place importante accordée au visuel du JT peut également soulever des interrogations. On peut en effet se demander si le rôle du JT est bien d'informer le téléspectateur où s'il s'agit d'un spectacle destiné à divertir.
La recherche du sensationnel dans les JT
Pour attirer un maximum d'audience et la conserver jusqu'à la fin de l'émission, les journalistes se doivent d'intéresser les téléspectateurs. C'est pourquoi ils sont à la recherche du sensationnel, du spectaculaire.
• Des faits divers de plus en plus présents dans les JT
Les scandales, crimes, suicides, catastrophes naturelles sont qualifiés de faits divers. Paradoxalement, les faits divers occupent de plus en plus de temps d’antenne dans les JT alors qu'ils correspondent souvent aux faits les moins importants de l’actualité. De plus, il sont inclassables dans les rubriques classiques du JT (national, international, économie, politique, etc) et ils sont sans enjeu. Si les faits divers sont normalement sans enjeu, ils peuvent cependant dissimuler des problèmes de fond plus importants. La tuerie de Newtown en décembre 2012 a par exemple entraîné une remise en cause de la libre-circulation des armes aux Etats-Unis.
L'atout majeur des faits divers est que ces derniers captivent l’audience. En effet, les faits divers sont de nature à intéresser tout le monde du fait de leur proximité avec le téléspectateur. Un accident a des chances de susciter de l'intérêt : beaucoup de gens en ont déjà subi un eux-même ou connaissent des membres de leur entourage qui en ont subi. Ainsi, les faits divers sont des faits qui touchent tous les téléspectateurs et peuvent arriver à n'importe qui, ce qui explique pourquoi ils captivent et pourquoi il y en a de plus en plus dans les JT. Une étude réalisée par l'INA illustre la place importante accordée aux faits divers. Le JT de M6 arrive ainsi en tête des JT consacrant le plus de temps aux faits divers : 13,4%. Arrivent ensuite TF1 et France 2 avec environ 10%. Mais quelles sont les conséquences du nombre important de faits divers dans les JT sur la qualité de l'information ?
D'après Bourdieu, "le fait divers fait diversion". En effet, les faits divers occupent du temps d'antenne qui pourrait être utilisé autrement. Ils font diversion car ils empêchent d'aborder certains sujets qui pourraient notamment être utiles aux citoyenx. De plus, le temps consacré aux faits divers a des conséquences sur la qualité du traitement des autres informations. Le temps utilisé pour les faits divers implique du temps en moins pour approfondir d'autres sujets (économiques, politiques, etc) abordés dans le JT. Le manque d'analyse de certains sujets fait ainsi partie des critiques faites au JT.
• La dramatisation des informations
Les journalistes ont souvent recours à une dramatisation, c'est-à-dire une exagération de la gravité d'un événement et de son caractère tragique. Ce phénomène est particulièrement visible dans les JT dans lesquels rares sont les informations joyeuses. «L’humanité souffrante occupe une place de plus en plus grande dans nos JT où l’on relève une augmentation spectaculaire des sujets mettant en scène des victimes» affirme une étude de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). En effet, l'actualité est rythmée par des drames, faisant appel à la sensibilité ainsi qu’à la compassion des téléspectateurs.
Les moyens utilisés pour rendre l'information plus dramatique, et donc plus attirante, sont multiples. Les mots prononcés sur un ton grave et solennel couplés avec une musique triste et des images dures amplifient les émotions ressenties par les téléspectateurs en les touchant et en les captivant. La dramatisation se caractérise également par une abondance de chiffres soulignant l'ampleur des dégâts humains ou matériels. Le 27 décembre 2004 (suite à un tsunami dans l'Océan Indien), Patrick Poivre d'Arvor ouvre le JT de TF1 sur des chiffres frappants : « Déjà plus de 50 000 morts ou disparus en Asie du sud-est dans l'une des plus terribles catastrophes du siècle ». Les jours suivants le désastre, le présentateur entame le JT de manière semblable en présentant des chiffres accablants. Les chiffres contribuent ainsi à un effet de dramatisation.
Cependant, la dramatisation peut parfois nuire à la qualité et à la fiabilité de l'information. En effet, les chiffres cités ne sont pas toujours empreints de certitude. Il est par exemple difficile d'évaluer le nombre de victimes suite à une catastrophe naturelle. Pourtant, les journalistes n'hésitent pas à diffuser des chiffres inexacts sur les dégâts. Le graphique ci-dessous montre ainsi l'incertitude du nombre de morts annoncé par TF1: le nombre était de 300 000 mort le 25 avril 2005 puis a été rectifié à 200 000 en décembre 2008. Les informations diffusées par les JT ne sont donc pas toujours fiables.
Graphique du nombre de morts évoqués par TF1 suivant le séisme du 26 décembre 2004 dans l'océan Indien
source https://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2010.de_azevedo_m&part=176155
Dans une certaine mesure, le JT peut donc être comparé à un spectacle en raison de l'importance accordée à l'esthétique, le temps d'antenne accordé aux faits divers et la dramatisation des événements. Ainsi, la vision des JT constitue un prisme déformant: l'information diffusée par le JT n'est pas une représentation fidèle de la réalité. De plus, on peut penser que l'information est traitée dans le but de captiver l'audience et de divertir avant d'informer.
ÉTUDE DE CAS:
L'affaire Paul Voise : entre dramatisation et emballement médiatique pour un simple fait divers
Il est intéressant d'analyser l'affaire Paul Voise car cette dernière illustre comment un simple fait divers est devenu une affaire à part entière à cause d'une couverture médiatique intense. Nous allons donc voir comment ce fait divers à été traité par les médias et quelles ont été les conséquences de cette affaire qui a bouleversé la France entière, à seulement trois jours des élections présidentielles de 2002.
Le 18 avril 2002, un septuagénaire du nom de Paul Voise, surnommé Papy Voise, est victime d'une agression chez lui, dans un quartier sensible d'Orléans (Centre). Il est alors roué de coups par deux hommes voulant lui prendre son argent et son domicile est incendié. L'agression de Paul Voise n'est malheureusement pas un cas isolé. Pourtant, ce fait divers a fait l'objet d'un véritable emballement médiatique.
Le 19 avril 2002, Paul Voise apparaît pour la première fois dans le JT de 20h de TF1, le visage couvert d'hématomes. Claire Chazal parle alors d'un "fait divers inquiétant". Le lendemain, les autres chaînes suivent la démarche de TF1, décidant à leur tour de diffuser la nouvelle de l'agression de Paul Voise. Pendant plusieurs jours, des images émouvantes du vieillard sont passées en boucle dans les JT. Ces images témoignent d'une dramatisation de l'information. En effet, des journalistes sont envoyés filmer Papy Voise à l'hopital. Des gros plans sur le visage tuméfié et en larme de Paul Voise sont réalisés. De plus, certains journalistes sont filmés à genoux, tenant la main de Paul Voise en tentant de le réconforter. D'autres sont montrés lorsqu'ils mouchent le nez du veil homme en train de pleurer. En parallèle, d'autres équipes de journalistes sont dépêchées sur le lieu de l'agression pour filmer la maison de Paul Voise, calcinée. Les images sont d'autant plus touchantes que Paul Voise avait construit sa maison de ses propres mains pour y vivre avec sa mère. La dramatisation a ainsi participé à accentuer le caractère dramatique de ce fait divers. De plus, de nombreux Français se sont dit que si un vieillard sympathique et sans défense pouvait se faire agresser, alors tout le monde pouvait se faire agresser, ce qui a eu pour effet l'intensification du débat sur l'insécurité.
En effet, l'agression de Paul Voise a permi aux médias de porter le débat sur l'insécurité à son paroxysme, et ce à seulement trois jours des élections. Entre février et mars 2002, le traitement médiatique de insécurité a bondi de 126 %. Selon une hypothèse controversée, l'affaire Paul Voise aurait même favorisé l'arrivé de Jean-Marie Le Pen au second tour.
Il est donc reproché aux journalistes leur approche sensationnaliste de l'affaire. Un simple fait divers a en effet entraîné un emballement médiatique et politique, alors même que les déclarations de Paul Voise comportaient de nombreuses incohérences.
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